Le Caractère et l’Esprit du Bal des Quat’Z’Arts


Le présent chapitre a pour but de vous faire mieux appréhender et mieux apprécier, à travers différents témoignages écrits, ce qui constituent le « Caractère » et « l’Esprit » du Bal qui sont dans leur genre uniques au monde !

Extrait d’un article écrit par Hervé JUVIN dans la « Revue de l’Habitat Français » – 20 avril 1985 :

« Dans la longue chronique des bals et des fêtes parisiennes, les bals d’artistes de la fin du siècle dernier occupent une place privilégiée. Qu’il s’agisse du Bal Julian, le plus ancien, organisé pour la première fois en 1886 dans le restaurant Bonvalet, près de la place de la République ; du bal de l’Internat, qui envahissait la salle Bullier ; ou du plus célèbre, le bal des Quat’z’arts, ces bals innovaient par leur fantaisie, leur liberté de ton et de manières, la familiarité sans apprêts qui y régnait entre étudiants et camarades d’ateliers, jolies modèles, vieux maîtres des Académies, amateurs éclairés et aimables collectionneuses. Délicieusement chatouillé par l’annonce du scandale, le Tout-Paris de la IIIème République affluait… ».

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Jean-Léon Gérôme, chef d’atelier de Peinture à l’École des Beaux-Arts (voir glossaire), en grand apparat pour un bal des 4’z’arts, autour de 1900.

Extrait d’un article écrit par Robert CHASTAGNOL, Vice-Président du Bal de 1958 (voir glossaire) pour un « Coquetelle de Presse » destiné à présenter aux journalistes le Bal. Cette semblable démarche d’un Comité du Bal reste d’après nos archives la seule tentative de ce genre sachant bien-sûr que le Bal des Quat’Z’Arts demeure un Bal privé.

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« Pour la première fois dans l’histoire des 4 Z’Arts un coquetelle de presse a été organisé.

C’est pour faire mieux connaître cette sympathique manifestation et faire enfin justice des calomnies répandues à son sujet.

Fondé par Henri GUILLAUME en 1892, le bal des 4 Z’Arts est strictement privé et volontairement fermé aux intrus.

Sans aucun but lucratif, les étudiants des Beaux-Arts et quelques artistes s’y réunissent entre eux.

Le bal est placé sous la direction d’un Comité actif et sous le patronage d’un Comité d’Honneur. Les élèves vont au bal groupés par Ateliers ; dans la salle ils vont dans leur « loge » où ils trouvent repos, nourriture boissons auprès du Maître de céans : « le DÉLÉGUÉ ».

Les bougres 4’ Z’Arts manifestent au cours de la « montée » d’une manière peut-être bruyante et baroque, mais avec un certain souci d’art, ils manifestent leur joie de vivre et de vivre artiste, d’être 4 Z’ Arts. [     ]

Au cours de la nuit se déroulent des concours de travestis, de présentation de loges, de danses, et de nus, d’où vient sans doute la mauvaise réputation que « chacun ait tenté de répondre à ce sujet ».

Article écrit par François BABOULET, Secrétaire du Comité d’Honneur du Bal de 1948 (voir glossaire) dans la revue de la Grande Masse des Beaux-Arts de 1948 « MELPO 2 » :

Extraits de la revue Eros, magazine littéraire et artistique illustré, numéro spécial « Le Bal des Quat’ Z’Arts » de 1931 par André WARNOD (voir glossaire).

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« Le Bal des Quat’ z’ Arts est bien autre chose qu’une fête comme les autres. C’est le dernier refuge de la Fantaisie à l’École des Beaux-Arts, le rire jeune de la vieille maison, l’aboutissement logique de toutes les traditions transmises de génération en génération avec le fameux hymne du Pompier et du casque qui, de loin, donne presque l’air d’un guerrier… On peut très bien le considérer comme un complément à l’enseignement de l’École. Il a un côté professionnel dont il faut tenir compte pour le bien comprendre. Toutefois, l’esprit qui l’inspira, et qui l’anime encore, l’esprit rapin, date d’un temps déjà passé et trouve de moins en moins l’occasion de se manifester. Mais le jour du bal il reprend force et couleur. Rien n’est plus candide qu’une âme de rapin, rien n’est plus éloigné du vice ; c’est justement cette bonhomie, cette franchise d’allure, ce naturel, cette belle santé morale et physique, cette rude simplicité qui font accepter au Bal des Quat’ z’ Arts ce qui ailleurs ne saurait être guère toléré.

Malgré la réputation d’orgie démoniaque faite au bal par certains défenseurs de la morale, qui n’y étaient jamais allés, il n’y a aucune perversité dans les extravagances commises au cours de cette folle nuit. Les gestes et les attitudes peuvent être hardis, et les costumes se réduire à rien, c’est au fond, et avant tout, une bonne grosse rigolade, une gaité saine et débraillée, une bacchanale bon garçon et bonne fille, qui se déroule dans un si beau décor, dans un tel épanouissement de lumières et de couleurs, où l’on sent partout une telle ardeur, une telle frénésie joyeuse, une si furieuse allégresse de vivre librement, que l’ensemble finit par en prendre une réelle grandeur.

Tout le monde, évidemment, n’est pas désigné pour participer au Bal des Quat’ z’ Arts, fête intime donnée par des artistes, et pour des artistes, où chacun doit être acteur et non pas spectateur. Aussi, et parce qu’il est tout à fait nécessaire que ces fêtes restent strictement privées, convient-il d’en exclure impitoyablement tout ce qui ne voient pas avec des yeux de peintre ou qui ne conçoivent pas le nu que comme le dernier état du déshabillé. On ne saurait donc trop féliciter de leur sévérité les Massiers chargés du contrôle et qui, avec le Comité, font une chasse implacable aux intrus.

Ce n’est pas toujours là un travail facile, car les ruses sont multiples de ceux qui veulent à tout prix se faufiler parmi les rapins. Il est nécessaire de faire dans la salle et les loges, avant même l’ouverture des portes, une ronde souvent fructueuse. Au Moulin-Rouge, où le contrôle était en haut, dans l’escalier, on avait trouvé une ingénieuse formule pour renvoyer l’indésirable qui se présentait avec une carte obtenue on ne sait comment. «  Une loge à gauche » criait-on. Déjà notre quidam, ravi d’être si bien accueilli, se réjouissait ; on lui faisait prendre un long couloir qu’il suivait avec enthousiasme et pour finir il se trouvait… sur le trottoir, boulevard de Clichy. [     ]

L’un des caractères, le caractère en quelque sorte professionnel du Bal des Quat’ z’ Arts, et sur lequel il convient d’insister ici, réside dans le grand souci documentaire qui préside toujours, jusque dans la blague et dans la parodie, à l’établissement, « par les moyens du bord » des décors et des costumes, dans la création desquels les ateliers rivalisent d’ingéniosité, d’originalité et de haute conscience artistique. [     ]

Le Bal des Quat’ z’ Arts, en vérité… c’est l’allégresse débordante d’une nuit où sont abolies toutes les contraintes… c’est de la jeunesse lâchée et qui galope à cru dans une joie comme d’une bande de poulains et de pouliches libre d’entraves… c’est de la fureur de vivre pendant quelques heures dans un monde autre que l’actuel, de se mouvoir sur un autre plan… c’est la joie excessive de réaliser par soi et pour soi et de glorifier la ligne, la couleur, la forme, le mouvement et cette magnifique expression humaine du beau : le nu…

Ainsi, d’année en année, insoucieuse de la mode et des coutumes éphémères, la tradition se transmet des anciens qui furent des nouveaux aux nouveaux qui deviendront des anciens, unissant dans un même culte de ce qui est l’essentiel de leur vie, et malgré leurs divergences passagères de doctrine, les maîtres et les élèves qui maintiennent, vivant et jeune, par la fantaisie, le rire, et par toute l’ardeur d’une nuit libre jusqu’à la licence et jusqu’à la beauté sans voiles, l’esprit même des vieux ateliers de l’École où l’on sait, mieux que nulle part ailleurs, que « tout est pur à qui est pur »… ne serait-ce que dans l’intention première…»

Extrait du livre « 17, quai Malaquais (Atelier Cormon) » de 1934 écrit par Robert FERNIER (voir glossaire).

« Le complément de nos folies et leur aboutissement, c’était, incontestablement, le bal des Quat’ z’ Arts. Dirigé par un comité d’anciens de l’École, il a ses fervents et ses détracteurs. Toute une légende s’est créée autour de cette originale manifestation de l’activité des peintres, des sculpteurs, des architectes et des graveurs, qui ne jouit pas d’une bonne réputation. Les pires excès passent pour y être commis, sous l’œil paterne de gardes municipaux et d’agents de police menacés d’apoplexie, et l’on prononce les mots de scandale, de prostitution, de débauche et de honte. C’est exagéré. Non pas que je cherche à réduire les Quat’ z’ Arts aux proportions d’un bal de sous-préfecture ! Les plus rares spectacles s’offrent aux yeux les moins curieux et ce n’est pas un des moindres attraits de cette nuit chaude. Mais j’affirme que s’il se dépense en quelques heures beaucoup d’affection, ceux et celles qui en sont prodigues ne sont venus que pour cela. Une femme honnête – car il en est ! – aura vite fait de réduire à néant les entreprises les plus hardies et sa vertu n’a rien à craindre. [     ]

Il (le bal) procède dans sa décoration, dans son esprit et dans la tenue des « danseurs » d’une incontestable note d’art. Si la raison et le règlement invitent pour un soir au déshabillé le plus négligent, il n’en demeure pas moins que son côté privé ne laisse aucune prise à la calomnie. N’y entre pas qui veut, et ceux qui y pénètrent auraient mauvaise grâce à se plaindre. Tout au plus pourrait-on critiquer le défilé des guerriers, des esclaves, en pleine rue, dès la tombée de la nuit. Mais le quartier Latin et Saint-Germain des Prés, qui en voient bien d’autres en une année, assistent au commencement des exploits de leurs bandes joyeuses sans trop s’en étonner. On laisse faire, et ce ne sont plutôt que les journalistes vertueux ou en mal de copie qui élèvent leur indignation à la hauteur de leur mauvaise humeur.

Il y a un thème à chaque Bal des Quat’ Z’Arts, un thème tiré d’un texte antique, qui donne lieu à l’application la plus large et la plus indépendante. Le principal est de s’amuser et personne n’y faut. D’ailleurs, l’élément féminin qui nous y accompagne – et dont nos petits modèles constituent la majorité – ne vient jamais pour autre chose »

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Dessin paru dans le numéro spécial « Les Quat’ Z’Arts » du Courrier Français du 21 avril 1895. Défilé dans le Bal de l’atelier CORMON parodiant le tableau « Caïn » de leur Patron.

Sur le côté dérision du bal par rapport aux études et le travail intense fourni par les élèves de l’École des Beaux-Arts / Extraits d’un entretien avec Jack TORTRAT (voir glossaire) dans le livre « Traces d’Architectes. Éducation et carrières d’Architectes Grand-Prix de Rome au XIX et XXème siècles en France » de 1993 écrit par Jean-Pierre MARTINON.

« Avec le Bal des Quat’ Z’ Arts, c’est le renversement réglé du monde, c’est le règlement du dérèglement, c’est le jeu entre le roi et le fou, c’est un phénomène de contre-pouvoir des loisirs et des plaisirs, c’est enfin la sacralité de la transgression… [     ]

Nous avons toujours à faire à une liaison entre le travail sérieux de l’École et son autodafé par les élèves de cette même école. [     ]

C’est le rituel de la dérision et l’investissement de l’espace et de l’institution par le renversement des pouvoirs… ».

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1913 / Photo prise au petit matin au retour du Bal dans la Cour d’Honneur de l’École des Beaux-Arts.

Poursuivons sur le côté dérision des élèves de l’École des Beaux-Arts et le bal vis-à-vis de la « Maison Mère » avec le programme d’un concours dit « d’émulation » présenté par le Comité du Bal des Quat’ Z’ Arts de 1962 parodiant les programmes de concours d’Architecture proposés par le professeur de Théorie. A titre de comparaison, nous vous présentons tout d’abord un très sérieux programme d’un concours d’émulation d’Architecture de 1ère classe de 1959 puis le programme proposé par le Comité 1962 intitulé « Un 4’Z’Arts ».

Sur le nu présent au bal : Extraits du livre « PARIS DANSANT » de 1898 écrit par Georges MONTORGUEIL.

«… A lire ce récit froidement, on a la sensation de quelque orgie : qu’on en est loin ! les nus n’éveillent que des curiosités avouables. Au bal de l’Opéra, un coin de peau plonge en d’indescriptibles fureurs érotiques les mâles qui outragent de gestes obscènes et cruels les déshabillés et les retroussées. Ce sont hantises inconnues chez les artistes, où les femmes ne sont point à vendre, où il ne se conclut pas de marché, où chacun s’en vient avec sa chacune, l’amant avec sa maîtresse, l’artiste avec son modèle… [     ]

C’est que le nu est inepte et provoquant s’il n’est justifié. De tous les costumes, il nous est le plus naturel, et c’est celui que nous portons le plus mal. Le nu est à l’aise, à l’atelier devant les artistes qui le comprennent ; ailleurs il est timide, humilié, gauche à l’excès et sot même. Ce qui est possible entre artistes n’est possible que chez eux, parce que le nu y est respecté à l’égal d’une grammaire, d’une syntaxe, d’une loi : c’est la matière de leurs études c’en est la probité. [     ]

Dans toute autre fête, dans tout autre bal, le nu est nu en vue d’un objet différent ; c’est l’excitation lubrique, la chair de l’esclave au marché. L’art ne le sollicite plus, mais la concupiscence. C’est du temple, où le nu ose publiquement s’afficher, qu’il faut surtout chasser les vendeurs. Manon donna, par exemple, la formule de ce désaccord : admirée, respectée, acclamée par trois mille artistes la nuit des Quatr’ z’ Arts, elle fut blessée moquée, insultée la nuit du « Fin de siècle ». Et le rouge lui en vint, le rouge de la confusion, à ce point qu’on l’entendit murmurer – chose incroyable : « J’ai honte, rendez-moi ma chemise »  ».

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Un article d’André ANTOINE : « La leçon des Quat’ z’ Arts », paru dans « Le Journal » du 23 juin 1923.

« J’ai vu quelque chose d’extraordinaire, il y a deux jours, devant la façade de la gare Montparnasse. Sous le ciel bas et gris d’une fin de journée pluvieuse, l’apparition soudaine d’une théorie de guerriers casqués et de danseuses à demi-dévêtues, comme si l’on avait brisé tout à coup, sur le pavé de la place, quelque précieux vase de nos Musées ou un lécythe millénaire, dont les fresques se seraient subitement animées. C’étaient tout bonnement, les élèves des Ateliers de Montparnasse se rendant en chœur au bal des Quat’ z’ Arts. Malgré la modernité du décor, les gestes familiers de la bande, montant à l’assaut de vulgaires tramways, ces hommes bleus, ces bestiaires rouges, ces danseuses jaunes, toute cette mascarade dégageait une beauté inconnue des affreux cortèges de nos fêtes publiques. Je n’ai retrouvé ceci qu’une fois, jadis, lors du défilé historique des géants d’Anvers. Et je constatai, en m’approchant, que cette splendeur était obtenue par les moyens les plus simples, à force d’art et de goût. Ces rapins et ces sculpteurs, d’ailleurs de forts beaux gars, en général, ces petites Parigotes, modèles courant les ateliers, par le seul aspect de leurs corps dévêtus, composaient le plus somptueux ensemble. Et je pensai que nous étions bien loin des figurations de la Comédie, de l’Opéra, des spectacles de Mme Rubinstein ou des tableaux de nos soi-disant grands films artistiques. Un souffle d’art, un noble instinct avait groupé tous ces jeunes gens, habitués à étudier la beauté et à la créer, dans une communion magnifique absente de nos spectacles les plus célèbres et les plus répétées ».

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1925 / L’atelier libre d’Architecture GROMORT à Montparnasse au 21 avenue du Maine avant le départ au bal.

Extraits d’un article écrit par Raymond CLAUSTRE, Président du Bal de 1930 (voir glossaire) dans le bulletin de la Grande Masse des Beaux-Arts d’octobre 1930.

« Le Bal est fini. Grenade est prise et Boabdil a mis la voile vers les côtes barbaresques et déjà nous songeons au prochain Bal ! Parler de celui-ci ? Nous l’avons vécu, ce qui est mieux que de le voir. Mais comment un pauvre récit parlera-t-il à ceux qui n’ont connu ni la couleur, ni le bruit, ni l’âme de ce Bal ? Cependant ceux qui nous liront sont des nôtres et sauront tirer des mots la chose et la mettre à son échelle ! Car tout là-dedans tient du prodige. C’est que la joie des 4-Z’ Arts est trop grande pour tenir dans une nuit : c’est notre joie de toute l’année qui explose quelques heures, joie d’être jeunes et de travailler avec l’espoir, joie de se sentir les coudes, joie profonde et sincère de la belle camaraderie d’atelier qui, cette nuit-là, s’étend à toute l’École. Joie que tout le monde partage et que tous doivent comprendre. C’est cette camaraderie-là qui est notre plus précieux avoir ; c’est elle qui nous permet les sacrifices, les dévouements d’où naissent les belles choses. Aux 4-Z’ Arts, chacun doit se sacrifier un peu pour tous : les ateliers en cherchant la plus belle loge, le plus beau défilé, les gars, en faisant les plus beaux costumes, les belles en étant belles, travaillant de bon cœur pour la beauté de l’ensemble et la joie de tous. Puisse encore l’émulation grandir entre nous pour la beauté des 4-Z’ Arts à venir et pour la plus grande gloire de notre École ! Salut ! ».

Extrait d’un article écrit en 1933 par André WARNOD (voir glossaire) dans le journal « Comoedia »

« Rien ne marquait plus particulièrement le bal de cette année. Depuis que nous allons au bal des Quat’ z’ Arts, nous avons vu déjà plusieurs fois Babylone travestie à la mode Quat’ z’ Arts, rien ne change et le bal des Quat’ z’ Arts demeure, ne ressemblant à rien d’autre. Il a précédé les ballets russes et les revues de music-hall à grand spectacle, il ne leur a rien emprunté par la suite, fidèle à ses propres traditions. Cette fête dans un décor de palais reconstitué « à la blague », la somptuosité remplacée par l’ingéniosité, tout cela ne se retrouve que là. L’esprit quat’ z’ art existe et se perpétue, il s’est manifesté une fois de plus dans la lumière, dans le charivari des cuivres et des tambours, dans les danses forcenées, les bousculades, le tumulte d’une foule maintenue par la traditionnelle garde noire ».

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Extraits d’un article d’Antide BOYER en 1910 paru dans « Le Journal du Soir».

« Il [le Bal des Quat’ Z’ Arts] en est dit beaucoup de mal. Ayant appris à aimer les élèves de l’École des Beaux-Arts, en les voyant parfois de près, je sollicitai et obtins de leur générosité la faveur fort rare de pouvoir naguère assister à ce Bal. Il est en tout cas parfaitement privé et j’ai vu moi-même avec quelle sévérité on excluait ceux qui tentaient de venir chercher là d’autres impressions que celles qui s’y ressentent réellement. En effet, et contrairement à une opinion assez répandue, on y trouve bien autre chose que la lamentable orgie dépeinte faussement tant de fois. C’est du moins l’avis de nombre des personnalités du monde des arts et des Lettres, voire de Maîtres venus là en toute indépendance de jugement et sans opinion faite par avance. Seul l’esprit mesquin et étroit peu découvrir dans un ensemble si grandiose et si prenant, un détail dégradant que, aveuglé sans doute par la beauté, je n’ai pu voir moi-même. Nos faux-moralistes modernes à vue si tristement basse n’ont certes pas compris la préoccupation de cette belle jeunesse éprise d’art et de vie exubérante…[     ]

De la gaité, de la beauté, du mouvement emplissait cette immense salle de la rue d’Amsterdam. J’étais gagné et heureux. Je me retirai sous cette féérique impression. A mon réveil, un grand prêtre de la morale, me demanda si j’étais assez aveugle pour n’avoir pas vu de femmes nues ; Et oui, il y en avait ! mais je le déclare au grand scandale des Pharisiens, je n’ai pas été heurté impudiquement par ces jeunes et beaux modèles pris pour sujets principaux dans les figures et tableaux du cortège, ces jeunes femmes, bien faites, ayant l’habitude de la pose dans les ateliers (et toujours accompagnées du reste) passaient sous nos yeux, sans fausse honte et sans désir d’obscénité, avec une désinvolture crânement gracieuse. On admirait une belle forme dans le cadre où elle était à sa place parmi tant d’artistes, et mon cerveau, où germa parfois l’épigrammatique réponse, ne fut pas sali par de malsaines lubricités. D’hypocrites censeurs seraient mieux placés pour apercevoir des abominations qui hantent leurs méninges mais ne frappèrent pas plus mes yeux que ceux des Romains aux Gymnases des Thermes. Je ne suis pas un paillard blasé et je n’ai pas aperçu là ces ignobles vices dont j’eus honte naguère dans d’immondes salles du boulevard où, quotidiennement, la nuit venue, sans la moindre protestation de philistins, des fils de famille, viennent, de façon immonde, souiller de pauvres créatures vouées au vice par une destination que tant de sociologues trouvent naturelle. J’étais en moine l’autre soir, et si j’étais entré dans la peau du rôle, j’aurai clamé contre les puristes et, de tout cœur, j’aurais donné mon absolution à la jeunesse incomprise et calomniée de notre École des Beaux-Arts qui n’a que le tort de regarder en face le superbe torse nu des braves filles sachant vivre leurs joies et leurs misères en excellentes camarades fleurissant les rêves de leur idéalité ».

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1936 / Photo prise au petit matin au retour du Bal dans la Cour d’Honneur de l’École des Beaux-Arts.